Chapitre 1 : Comment est structurée la société française actuelle

 

Etudier la structure sociale signifie étudier les différents groupes qui composent une société et leurs rapports.

Lorsque l’on met en évidence une forme de hiérarchisation et des rapports de domination entre les groupes sociaux on fait apparaître la stratification sociale.

Cela implique de déterminer les facteurs à l’origine de différences voire d’inégalités qui structurent la société que l’on veut étudier.

1. Les multiples facteurs de structuration et de hiérarchisation de l’espace social

Pour faire apparaître la structure sociale d’un espace social il faut repérer des critères à partir desquels on peut distinguer les groupes sociaux qui composent l’espace social

1.1 Le classement en catégorie socio-professionnelle : un outil statistique d’analyse de la structure sociale

La nomenclature des PCS de l’INSEE classe les catégories sociales en fonction de leur statut (salarié/indépendant), de leur secteur d’activité, de leur niveau de qualification et de la nature de la tâche effectuée. 

Le niveau de revenus n’est en aucun cas un critère de classement, mais les inégalités de revenus apparaissent après le classement en PCS.

La hiérarchie des PCS n’est pas totale : certaines catégories apparaissent plus hautes dans la hiérarchie sociale (employés/ouvriers, professions intermédiaires, cadres) mais certaines présentent une forte hétérogénéité qui les rend difficilement classables (artisans, commerçants, chefs d’entreprise par exemple)

1.2 Les autres critères de classement possibles

-les revenus 

Il existe des inégalités de revenus qui permettent de faire apparaître des groupes sociaux qui se distinguent en fonction de leur niveau de revenus. On peut prendre en compte différents revenus pour faire ces comparaisons : en général, on utilise le revenu disponible = revenus du travail et du capital + prestations sociales – prélèvements obligatoires

-Composition du ménage 

 Les inégalités économiques dépendent aussi du niveau de vie du ménage = revenu disponible/nombre d’unités de consommation

=> La composition du ménage, qui prend en compte le nombre de personnes du ménage ainsi que leur âge,  va donc influencer le niveau de vie d’un ménage. (être seul accroît la probabilité d’être pauvre par exemple)

-Diplôme 

Le diplôme est un critère de classement dans les PCS  car pour rentrer dans la catégorie cadres de l’Insee, il faut avoir une qualification élevée.

Qualification= diplômes +expériences professionnelles

 Or, il y a peu de cadres sans diplôme car en France, il y a peu de promotions internes (d’ouvriers qui deviennent cadres) et il y a peu de diplômés qui restent ouvriers car ils vont chercher un meilleur emploi

-Position dans le cycle de vie

La position dans le cycle de vie représente la place d’un individu dans les différentes étapes de sa vie (jeunesse, adolescence, …)

L’âge de l’individu a une incidence sur sa position par rapport à l’emploi: le taux de chômage des jeunes actifs de moins de 25 ans est particulièrement élevé . Ils sont plus touchés par la précarité et par la pauvreté que les séniors.

Cela s’explique parce que les jeunes s’abstiennent aussi davantage et sont moins représentés en politique. 

=> Le critère de l’âge fait donc apparaître des inégalités intergénérationnelles.

-Genre 

Les inégalités salariales entre les hommes et les femmes s’expliquent par la socialisation différenciée qui fait que les femmes consacrent davantage de temps aux tâches domestiques (ou pensent qu’elles doivent davantage se consacrer aux tâches domestiques), et que les femmes (et les hommes) considèrent que c’est le rôle des femmes de s’occuper des enfants. Du coup elles travaillent plus souvent à temps partiel et font moins d’heures supplémentaires et elles choisissent moins souvent des postes à responsabilité et occupent des emplois moins rémunérés (dans le secteur des services en particulier). Elles sont aussi plus souvent victime de discrimination.

Le genre est donc un critère qui permet d’identifier des inégalités.

Remarque : Pour certains sociologues, les rapports de genre se superposent aux rapports de classe 

-Lieu de résidence 

La répartition des ressources publiques permettant de financer les services publics est inégalement répartie sur le territoire. Les habitants de Seine saint Denis ont moins accès aux services publics que les Parisiens par exemple. Cette inégalité d’accès aux services publics peut avoir des conséquences sur la réussite scolaire, l’accès à l’emploi… ce qui a un impact sur la place des individus dans l’espace social. On peut supposer que si ces territoires sont délaissés c’est parce qu’ils ont peu de représentants politiques, de personnalités influentes qui défendent leurs intérêts car il n’y réside pas. De plus, les résidents de ces zones ont un fort taux d’abstention.

=> Le lieu de résidence est un critère permettant d’établir des inégalités entre des groupes sociaux

Conclusion du 1.2

Analyser la structure sociale, c’est mettre en évidence les groupes sociaux qui la composent et la stratification sociale entre ces groupes.

Pour cela il s’agit d’identifier les critères qui permettent de distinguer/différencier les individus appartenant à des groupes sociaux distincts et ayant des positions sociales différentes dans l’espace social.

Au-delà de facteurs économiques liés au niveau de richesses comme le revenu, il existe de multiples facteurs sociodémographiques qui permettent d’identifier des groupes sociaux.

Ainsi, le sexe, la position dans le cycle de vie le niveau de diplôme, la composition du ménage, le lieu de résidence sont autant de facteurs qui ont un impact sur la position sociale, le mode de vie des individus et permettent ainsi de faire apparaître des groupes sociaux qui structurent une société.

2. Les principales évolutions de la structure socioprofessionnelles en France depuis les années 1950

Les principales évolutions de la structure socio-professionnelle sont :

-la salarisation

-la tertiarisation

-l’élévation du niveau de qualification

-la féminisation

2.1 La salarisation

En France, 10% du total des emplois sont des emplois 

non-salariés =90% des emplois sont des emplois salariés)

La salarisation, c’est l’augmentation du nombre et de la part des emplois salariés dans le total des emplois.

On assiste en France depuis un siècle à une augmentation de la part des emplois salariés, même si, depuis une dizaine d’années, il y a de plus en plus d’emplois non-salariés.

La salarisation s’explique par le fait que la part des indépendants et des artisans diminuent parce que d’un côté les entreprises cherchent à fidéliser leurs salariés pour répondre à la demande de biens et services et de l’autre les individus recherchent un salaire fixe accompagné de droits sociaux.

2.2 La tertiarisation

Secteur primaire= agriculture

Secteur secondaire= industrie

Secteur tertiaire= services

La tertiarisation est la tendance à l'augmentation et à la prédominance de la part des activités tertiaires dans l'économie. Elle se mesure à travers la production de richesses (PIB) ainsi que dans l‘emploi de la population active.

Dans les pays développés, l‘industrialisation a vu la part du secteur primaire (agriculture) diminuer au profit du secteur secondaire (industrie). La tertiarisation est une nouvelle phase du processus historique de l'évolution des sociétés développées avec un recul de la part de l'industrie remplacée par un développement rapide des activités de services.

Principales causes de la tertiarisation :

-les gains de productivité dans l'agriculture et dans l'industrie,

-l'augmentation de la demande (et donc de la production) de services en quantité et en qualité

2.3 L’élévation du niveau de qualification 

Les effectifs des métiers de cadres et professions intermédiaires ont fortement augmenté ce qui s’explique par

- l’augmentation générale des niveaux de diplômes liée à la massification scolaire voulue par l’Etat 

-la hausse de la demande de travail qualifié (lié au progrès technique)

-la hausse du niveau de vie qui incite les individus à faire des études plus longues pour occuper des emplois plus qualifiés

2.4 La féminisation des emplois 

La féminisation c’est l’augmentation de la part des emplois occupés par des femmes.

Tertiarisation et féminisation sont fortement liées: le développement des emplois tertiaires a ouvert des emplois aux femmes qui souhaitaient rentrer sur le marché du travail.

Mais les femmes occupent aussi des emplois dans les autres secteurs d’activité de manière plus importante car leur taux d’activité a fortement augmenté= féminisation des emplois

3. la pertinence d’une approche en termes de classes sociales pour rendre compte de la société française fait l’objet de débats théoriques et statistiques

3.1 Les classes sociales, un outil d’analyse de la structure sociale issu de la tradition sociologique.

Pour Marx, une classe sociale est:

- « Une classe en soi »: un ensemble d’individus qui occupent la même place dans la sphère productive: ils possèdent ou ne possèdent pas le capital 

-« Une classe pour soi »: ils ont conscience d’avoir des intérêts communs et opposés à ceux d’autres classes= une conscience de classe

Cela entraîne des rapports conflictuels entre classes sociales en lien avec le partage de la richesse créée par la production (intérêts antagonistes dans le partage de la VA: les capitalistes souhaitent augmenter leur profit ce qui se fait au détriment des salaires) =lutte des classes.

Pour Marx, il existe une hiérarchie qui est uniquement économique et qui explique toutes les autres hiérarchies .

Pour Weber, une classe sociale est:

- Un regroupement d’individus ayant des caractéristiques économiques semblables ( un même niveau de richesses)

-Un regroupement avant tout statistique sans qu’il y ait forcément « conscience de classe » et donc lutte des classes pour les individus regroupés dans une même classe.

-Une hiérarchie sociale parmi d’autres : 

Il distingue aussi les groupes de statut (hiérarchie en fonction du degré de prestige). et les partis (hiérarchie en fonction du pouvoir politique).

3.2 Comment la sociologie contemporaine actualise la notion de classes sociale ?

 La notion de capital est au centre de la pensée de P.Bourdieu: le capital constitue les attributs (économiques, sociaux, culturels) des individus, des avantages hérités ou accumulés.

Le capital ne se réduit pas à un ensemble de richesses matérielles. Il faut lui adjoindre le capital culturel et le capital social. Marx ne voyait dans la domination que le critère économique, Bourdieu a apporté la composante sociale et culturelle.

BOURDIEU définit 3 types de capitaux 

  • Le capital économique renvoie au patrimoine et au revenu.
  • Le capital culturel renvoie au niveau de diplôme, la possession d’œuvres, les dispositions incorporées/ biens et services culturels
  • Le capital social est l’ensemble des relations sociales qu’un individu peut mobiliser pour avoir accès à une ressource.

Le capital global est l’accumulation de tous les capitaux et indique le niveau de prestige de l’individu (sa place dans l’espace social).

3.3 La société française est-elle une société de classes ?

Eléments qui doivent apparaître dans une société pour identifier des classes sociales : 

  • Des inégalités économiques issues de la sphère productive (inégalités de revenu et de patrimoine notamment) (classe sociale au sens de Weber)
  • Des conflits entre les groupes qui résultent d’un sentiment d’appartenance à une classe sociale (conscience de classe) (classe sociale au sens de Marx)

a) oui car il existe des inégalités économiques dans la société française contemporaine

Document : Courbe de Lorenz 

50% de la population la plus pauvre vivant en France en 2017 reçoit 30% du revenu (par UC) distribué, les 50% les plus riches reçoivent donc 70% du revenu.

50% de la population la plus pauvre vivant en France en 2018 possèdent 8% du patrimoine français, les 50% les plus riches possèdent donc 92% du patrimoine français en 2018 selon l’INSEE.

La courbe de Lorenz permet de mesurer les inégalités de revenus ou de patrimoine à un instant donné. La courbe de Lorenz des patrimoines étant plus éloignée de la droite d’équi-répartition que celle des niveaux de vie, on peut affirmer que la distribution du patrimoine est plus inégalitaire que celle des revenus (niveaux de vie).

Le coefficient de Gini mesure la distance entre la courbe de Lorenz et la droite d’équi-répartition. Plus il est grand (proche de 1), plus la courbe s’écarte de la droite, plus la répartition est inégalitaire. Plus il est faible (proche de 0), plus la courbe est proche de l’équi-répartition, plus la distribution est égalitaire.

Les inégalités économiques ont diminué sur le 20 ° siècle mais augmenté dans les années récentes.

L’accroissement récent des inégalités économiques est dû à:

  • la fin de la réduction des inégalités de salaires : les très hauts salaires augmentent beaucoup plus vite que les autres 
  • L’augmentation des revenus du patrimoine liés au boom immobilier et à l’augmentation des dividendes versés aux actionnaires
  • les évolutions du marché du travail marquées par la montée du chômage et la précarisation de l’emploi, qui entraîne une baisse du niveau de vie pour toute une catégorie d’actifs touchés par le chômage et la précarité
  • le boom des marchés financiers et immobiliers qui entraînent une forte hausse des revenus du patrimoine  et du patrimoine qui bénéficient aux catégories déjà aisées.

Ce renouveau des inégalités est peu visible dans les indicateurs statistiques pour trois raisons :

  • tout d’abord la redistribution des revenus par l’Etat tend à amortir les effets de la précarité ce qui limite l’impact sur les inégalités, 
  • de plus le renouvellement des générations fait que les retraités aujourd’hui qui sont issus de la génération du baby boom voient leur situation s’améliorer par rapport aux retraités des générations antérieures, le niveau de vie moyen tend donc à s’améliorer. 
  • Enfin les indicateurs ont du mal à apprécier la hausse des revenus du patrimoine qui bénéficient de possibilité de défiscalisation (or les données sont liées aux revenus déclarés).
  •  

b) Mais l’analyse en terme de classe sociale semble fragilisée car

L’individualisation des rapports sociaux et les distances intra-classes affaiblissent la conscience de classe

L’individualisation du travail = Personnalisation des conditions d’emploi (horaire, rémunération, objectifs…)

  • Des horaires flexibles: chacun peut en fonction de ses choix ou obligations familiales commencer et terminer sa journée à l’heure souhaitée (selon une fourchette définie au sein de l’entreprise) du moment qu’il fasse le nombre d’heures 
  • L’entretien individuel qui permet de discuter des performances, objectifs, rémunération, évolution… de chaque salarié.

=>les salariés raisonnent davantage en termes individuels, ils sont moins conscients des enjeux collectifs, les autres salariés peuvent même devenir des « concurrents »

La baisse du sentiment d’appartenance à une classe sociale et l’individualisation de la relation de travail est défavorable à la mobilisation collective (montre qu’il n’y a pas vraiment de lutte des classes) Le nombre de journées individuelles de grève, qui illustre un conflit du travail entre salariés et patronat, a baissé. 

La hausse du niveau de vie permet un accès quasi généralisé aux biens d’équipement durables (électro-ménager, voiture, TV…). Cela homogénéise les modes de vie et donne le sentiment aux individus d’appartenir plutôt à la classe moyenne. 

Par contre, à l’intérieur des classes sociales (e des PCS) , il y a des situations de plus en plus variées en terme de conditions d’emplois et de revenus (par exemple entre ceux qui occupent un emploi précaire et ceux qui occupent un emploi stable)

=> les distances intraclasses s’accroissent, les distances interclasses se resserrent : la classe sociale n’apparaît plus forcément comme un concept pertinent d’analyse des inégalités

c) d’autres critères de différenciation sociale existent

-Le sentiment d’injustice partagé par les catégories populaires ne permet pas d’en faire une classe sociale car ils partagent d’autres critères d’identification.

=>l’individu ne se définit plus ou plus simplement par rapport à son appartenance de classe. D’autres critères d’identification prennent de l’importance pour l’individu pour son identification à un groupe social de référence. 

Groupe social = ensemble de personnes ayant des points communs et qui ont des interactions directes entre elles.

Ces autres critères d’identification à un groupe social sont à l’origine d’autres rapports sociaux : le genre, le lieu de résidence, la précarité, l’âge, l’origine ethnique,… 

Rapports sociaux = types de relations et d’interactions entre les groupes sociaux.

Eléments permettant d’observer ces rapports sociaux : 

  • Existence d’inégalités (selon le genre, selon l’âge, selon l’origine ethnique,…) intra-classes parfois plus grandes que les inégalités inter classes
  • Apparition de conflits/revendications autres que ceux liés à l’appartenance de classe. (ex gilets jaunes)

Si les inégalités intra classes sont plus importantes que les inégalités inter classes, cela veut dire que d’autres critères que la place dans le système productif sont plus pertinents pour analyser la structuration sociale.