Chapitre 1 : Comment la socialisation contribue-t-elle à expliquer les différences de comportement des individus ?

La socialisation fait de l’individu un être social

Qu’est-ce que la socialisation ?

Définition : Processus d’acquisition des connaissances, des modèles, des symboles,… bref des manières de faire, de penser et de sentir » M.Darmon

Ou processus d’intériorisation des normes et des valeurs qui permet aux individus de s’intégrer socialement

Processus : c’est un phénomène complexe de longue durée.

Intériorisation : on ne fait pas qu’apprendre, on intériorise des comportements qui deviennent naturels, on n’a plus besoin de réfléchir pour le faire (ex piano).

Normes : règles sociales et juridiques.

Valeurs : ce sont des idéaux, des principes, des grandes valeurs fondatrices de nos sociétés mais aussi celles propres à chaque groupe social.

La socialisation se distingue de l’éducation, elle ne se confond pas avec elle car elle n’est pas qu’explicite (elle peut être implicite). La socialisation permet de ne pas seulement apprendre mais aussi d’intérioriser des normes et des valeurs ce qui permet aux individus de se les approprier et d’agir librement. La socialisation se distingue de l’éducation parce que les acteurs ne sont pas les mêmes (il y a la famille et l’école, mais aussi les médias, les camarades, les associations qui jouent un rôle dans la socialisation) et la socialisation ne se passe pas que pendant l’enfance, mais tout au long de la vie.

De la socialisation primaire à la socialisation secondaire

On distingue la socialisation primaire de la socialisation secondaire :

La socialisation primaire 

La socialisation primaire désigne le processus de socialisation qui se déroule pendant l’enfance (socialisation par les parents et par l’école surtout), alors que la socialisation secondaire correspond à la socialisation à l’âge adulte.

Attention, la socialisation primaire se fait la plupart du temps des parents vers les enfants, mais il arrive que les enfants socialisent les parents (par exemple, avec un téléphone portable).

La famille a un rôle socialisateur privilégié envers l’enfant parce qu’elle est tout le temps présente et par son aspect affectif ; mais ce n’est pas le seul agent socialisateur et dès la socialisation primaire, l’enfant est en contact avec un grand nombre d’agents socialisateurs : autres membres de la famille, école, amis, médias … 

Si l’école est une instance centrale de socialisation primaire, ce n’est pas seulement par les normes et les connaissances qu’elle transmet, c’est aussi parce que c’est un lieu de socialisation par les « pairs » : par ceux qui sont comme nous, qui nous ressemble, par les autres élèves.

Cette socialisation par les pairs à l’école durera tout au long de la scolarité et sera remplacée par celle du milieu professionnel à l’âge adulte.

La socialisation secondaire

La socialisation secondaire est celle qui intervient à l’âge adulte. C’est encore une socialisation plurielle qui se fait dans le prolongement de la socialisation primaire. Les acteurs de la socialisation primaire sont encore présents et continuent de jouer leur rôle socialisateur.

Ce qui est spécifique à la socialisation secondaire c’est l’arrivée de nouveaux acteurs importants : le monde professionnel, le conjoint, les éventuels enfants, le réseau associatif, … 

Par exemple :

  • la socialisation professionnelle va passer par l’apprentissage du métier mais aussi par l’intériorisation d’un certain nombre de normes propres à la profession (à utiliser dans le cadre professionnel ou non par exemple la ponctualité)
  • La socialisation par le conjoint est multiple : elle se fait par l’intériorisation de nouvelles normes, d’habitudes propres au couple, de comportements implicites, qui déterminent aussi les relations avec l’extérieur (par exemple, certains amis vont rester, d’autres pas)

La socialisation secondaire se fait à partir d’un individu déjà construit. Les normes et les valeurs nouvelles intériorisées à l’âge adulte seront le plus souvent des adaptations, des prolongements, des réinterprétations de celles intériorisées dans l’enfance. Ainsi, on choisit le plus souvent son conjoint dans le même groupe social que le sien (homogamie sociale) et avec des normes et des valeurs très proches. De même, il est rare qu’un individu choisisse d’exercer une profession qui ne correspond pas aux normes et aux valeurs de son groupe d’appartenance.

La socialisation n’est pas linéaire : l’identité sociale varie au cours du temps du fait de la progression professionnelle, mais aussi du changement de statut familial, des différents évènements de la vie (évènements personnels ou politiques par exemple). Certaines expériences peuvent conduire à un remodelage de l’identité sociale : un divorce, un licenciement, un changement d’activité professionnelle, l’émigration,… peuvent conduire à une transformation des normes et des valeurs propres à l’individu. L’identité sociale d’un individu est donc le résultat d’un processus complexe lié à la multitude des expériences socialisatrices des individus : l’homme est pluriel !

La socialisation détermine en partie les comportements des individus 

La socialisation différenciée selon le genre induit des choix d’études et de professions stéréotypés.

L’utilisation du concept de « genre » permet de signifier qu’il y a une différence entre le sexe biologique et le genre sociologique : le genre se construit socialement. « On ne nait pas femme, on le devient » Simone de Beauvoir.
 

Dire qu’il y a une socialisation différenciée selon le genre signifie que les filles et les garçons ne sont pas socialisés de la même manière ce qui les conduit à intérioriser des stéréotypes de genre :

Que ce soit la famille, les pairs, les médias ou même l’Ecole, les acteurs de la socialisation ne vont pas avoir les mêmes attentes des filles et des garçons et ne vont donc pas valoriser les mêmes comportements. Les garçons vont intérioriser qu’il faut être fort, viril, un super-héros, un explorateur,… alors que les petites filles intériorisent qu’elles doivent être belles, sages et que leur rôle est de s’occuper des tâches domestiques et des enfants, notamment par l’intermédiaire des jouets qu’on leur offre.
 

Ces normes et ses valeurs genrées pourraient sembler naturelles si elles existaient dans toutes les sociétés humaines. Or, ce n’est pas le cas. Il existe beaucoup de sociétés matriarcales (la plus connue étant celles des Amazones). 

Les normes et les valeurs genrées pourraient être regarder comme le résultat d’une simple différence : les hommes aiment le bleu, les filles aiment le rose, et alors ? Mais ces différences de normes et de valeurs vont entraîner des inégalités importantes.

Par cette socialisation différenciée, les femmes ont intériorisé que leur rôle est de s’occuper des tâches domestiques et des enfants (les hommes de leur carrière) :

  • du coup, très jeunes elles considèrent qu’elles doivent suivre des études plus tournées vers l’aide aux autres et moins vers les sciences
  • elles choisissent des métiers le plus souvent dans les services à la personne qui est un secteur moins rémunéré
  • elles consacrent moins de temps à leur carrière (par exemple, elles font moins d’heures supplémentaires car plus de travail domestique), et travaillent plus souvent à temps partiel (pour pouvoir s’occuper des enfants)
  • elles acceptent moins souvent des postes à responsabilité

La socialisation est d’autant plus forte qu’elle exerce une forme d’autocensure : les filles ne choisissent pas autant que les garçons les carrières scientifiques car elles pensent qu’elles « ne sont pas bonnes en sciences », elles ne choisissent pas les carrières les plus prestigieuse, car elles pensent qu’elles doivent avoir un métier qui leur permettent de concilier vie familiale et vie professionnelle.

-de plus, une partie des inégalités de salaire hommes/femmes est due à une pure discrimination à l’embauche 

CONCLUSION : La socialisation différenciée entre les filles et les garçons entraîne des inégalités économiques entre les hommes et les femmes : les femmes sont moins bien payées, elles se retrouvent plus souvent que les hommes en situation de pauvreté lors d’un divorce, elles ont une retraite plus faible, etc.
Ces inégalités économiques s’accompagnent d’inégalités sociales : les femmes sont sous-représentées dans les postes de direction, elles sont sous-représentées politiquement et moins reconnues dans l’espace public (ex des scientifiques ou des violences faites aux femmes)

La socialisation différenciée selon le milieu social induit une inégale réussite scolaire

La réussite scolaire est corrélée à l’origine sociale : plus les enfants sont issus d’une origine sociale élevée dans la hiérarchie sociale, plus ils ont de chances de réussir scolairement.
 

Les inégalités de réussite scolaire selon le milieu social s’expliquent par le fait que :

  • les enfants de milieux favorisés ont intériorisé dès le plus jeune âge des normes et des valeurs, un capital culturel valorisé à l’école : un langage soutenu, des jeux éducatifs, les loisirs culturels (lecture, musée, cinéma, théâtre, …).  De ce fait, les enfants issus de milieux favorisés ont intériorisé dans leur famille les attentes de l’Ecole, ils ont donc plus de chances d’y réussir contrairement aux enfants de milieux populaires qui doivent intérioriser des manières de parler, d’agir…différentes de celles de leur famille et peu valorisés par elle, ce qui représente pour eux un « défi » supplémentaire pour réussir.
    Ce qui fait de ces différences des inégalités est que la culture valorisée à l’école ne correspond qu’au capital culturel des milieux favorisés, et donc détermine des inégalités de réussite scolaire selon le milieu socialCe qui fait de ces différences des inégalités est que la culture valorisée à l’école ne correspond qu’au capital culturel des milieux favorisés, et donc détermine des inégalités de réussite scolaire selon le milieu social
  • les parents de milieux favorisés se mobilisent davantage pour la réussite scolaire de leurs enfants (cahiers de vacances, choix de l’établissement, cours particulier, suivi de l’enfant,…)
  • les parents d’origine sociale modeste vont accepter plus facilement que leurs enfants fassent peu d’études
  • les parents qui ont des revenus plus élevés peuvent donner de meilleures conditions d’études à leurs enfants (cours particulier, école privée, logement,…)
  • On peut voir qu’aujourd’hui en France, il y une reproduction sociale des catégories socio-professionnelles : les enfants de cadres ont plus de chances de devenir cadres que les enfants d’ouvriers.

Cela est lié à la possession d’un capital culturel moins valorisé qui donnera moins de chances de réussite scolaire, mais aussi par la possession d’un capital social différent qui donnera moins de chances d’accès à des postes prestigieux : les enfants de cadres, même s’ils font peu d’études ou des études peu prestigieuses ont plus de chances de rentabiliser leur diplôme que les enfants d’ouvriers car ils disposent de relations sociales mieux placées dans la sphère hiérarchique et économique.

Cependant, la démocratisation de l’enseignement a permis de plus en plus aux individus de connaître une ascension sociale par le diplôme.

La socialisation induit des choix politiques différents.

On constate qu’il est plus fréquent de voter comme ses parents que de manière totalement différente.
 

En effet, au sein de la famille les enfants intériorisent un intérêt plus ou moins développé pour la politique, des « grilles de lecture, de jugement » (les attitudes politiques, la culture politique), des personnages politiques valorisés, des comportements politiques conventionnels (vote, adhésion à un parti) ou non conventionnels (manifestation, acte contestataire…)… qui vont influencer leurs choix politiques. 

Dans la socialisation primaire, les enfants vont surtout intérioriser des valeurs fondamentales qui les positionnent implicitement sur l’échiquier politique (clivage droite/gauche), mais il faut attendre la socialisation secondaire (grâce à la rencontre avec d’autres agents socialisateurs ou la participation à des évènements politiques) pour que le choix politique des individus soit affiné : par ex l’identification à un parti.
 

Conclusion : Nous avons montré comment la socialisation « détermine », oriente fortement bon nombre de nos comportements, ce constat permet de comprendre l’existence d’une certaine reproduction : les femmes et les hommes intériorisent des stéréotypes de genre, ce qui va déterminer l’ensemble de leurs comportements sociaux (de la pratique sportive à l’exercice de leur profession) ; les places occupées dans la hiérarchie sociale par les nouvelles générations reproduisent fortement celles de leurs parents, les opinions politiques des enfants sont fortement influencées par celles de leurs parents  …

Mais de nombreuses situations font apparaître des « trajectoires improbables ».

Pourtant, des individus connaissent des trajectoires improbables, c’est-à-dire qui ne correspondent pas aux généralités statistiques constatées : des femmes font des sports ou des métiers « d’hommes » et vice-versa ; il y a des enfants qui occupent une position sociale éloignée de celle de leurs parents qui ont donc connu une mobilité sociale notamment du fait de leur rapport à l’école…
Ces situations, certes peu probables, peuvent s’expliquer par la diversité des configurations familiales, par la diversité des agents de la socialisation secondaire et par la pluralité des influences socialisatrices.

La diversité des configurations familiales modifie les conditions de la socialisation des enfants et des adolescents. 

L’expression « configurations familiales » renvoit à la composition de la famille « couple parental, famille recomposée, taille de la fratrie, existence de relations plus ou moins fortes avec la famille élargie (les personnes reliées à l’enfant par des liens de filiation ou d’alliance et qui vont échanger avec lui « des relations effectives ayant des effets socialisateurs sur l’enfant »). Cette composition peut renvoyer au nombre de personnes, à leur statut (place dans la famille), la structure (couple parental, famille monoparentale, recomposée…) mais aussi aux caractéristiques culturelles des membres de la famille : niveau de diplôme identique entre le père et la mère, mode de vie, possession d’un patrimoine…

Ainsi, la multiplicité des configurations familiales fait que la socialisation familiale offre, en elle-même, une multiplicité de manières d’agir, de penser, de sentir que l’enfant va intérioriser et qui pourront s’avérer différentes de celles de son père, de sa mère, de ses frères et sœurs du fait des relations qui se nouent entre les différents individus de la famille restreinte et plus large (cousin.e.s, belle-famille…). Cela permet bien d’expliquer le constat de trajectoires improbables malgré la force de la socialisation familiale.

La multiplicité des configurations familiales va permettre dès la socialisation primaire à l’enfant d’intérioriser des normes et des valeurs diverses, parfois différentes de celles de leurs parents, leur donnant la possibilité de suivre un autre chemin, une autre destinée sociale, parfois même de connaître une ascension sociale.

Les agents de la socialisation secondaire (professionnelle, conjugale, politique) peuvent modifier les trajectoires 

A l’âge adulte, la rencontre d’autres agents socialisateurs peut modifier nos normes et nos valeurs et changer nos trajectoires : une rencontre dans le monde professionnel, politique, une rencontre amoureuse peut changer notre destinée sociale.
 

Le groupe d’appartenance est, pour un individu, le groupe social auquel il appartient de fait ; le groupe de référence est le groupe social auquel l’individu souhaiterait appartenir et donc auquel il se réfère. La socialisation anticipatrice est celle qui consiste à chercher à acquérir des normes et des valeurs propres à un groupe de référence auquel on souhaiterait appartenir et qui sont différentes de celles du groupe d’appartenance, du groupe social dont on vient. En effet, un individu peut chercher à acquérir sa propre identité sociale, à monter dans l’ascenseur social, à échapper à son milieu familial : par exemple, rentrer dans un nouveau groupe social (groupe de référence) : il s’y prépare, cherche à intérioriser les nouvelles normes et valeurs qui ne sont pas forcément celles de son groupe d’appartenance, dans le but d’obtenir un nouveau statut social (éventuellement de connaitre une mobilité sociale : on parle de socialisation anticipatrice.) 
 

Ces processus de socialisation s’articulent à la fois de façon diachronique (au cours du temps) et synchronique (à un moment donné).

M.DARMON distingue des socialisations secondaires:

  • de renforcement lorsque les produits de la socialisation secondaire viennent fixer ceux de la socialisation primaire
  • de transformation : lorsque la socialisation secondaire modifie certains produits de la socialisation primaire dans certains domaines ou pour une certaine période
  • et de conversion : lorsque la socialisation secondaire a pour effet de déconstruire les produits de la socialisation primaire et de les remplacer par d’autres devenant « irréversibles » c’est-à-dire qui s’incrustent avec la même force que ceux de la socialisation primaire dans l’esprit et le corps de l’individu. Ce processus peut entrainer des ruptures parfois douloureuses avec le milieu social d’origine Parfois, le changement de statut social par rapport à celui de la famille d’origine peut avoir un coût important pour l’individu : perte de repères, perte des amis du groupe d’origine,…même si c’est aussi un enrichissement .

La pluralité des influences socialisatrices peut être à l’origine de trajectoires individuelles improbables. 

Les processus de socialisation sont suffisamment diversifiés pour ouvrir le champ des possibles des individus. Par exemple, la réussite scolaire est grandement déterminée par le milieu social d’origine et, a priori, les enfants de milieu populaire, et a fortiori ceux issus de l’immigration ne disposent pas ou peu du capital culturel valorisé à l’école. Mais, si les parents valorisent l’école et sa transmission des savoirs, et si les élèves ont la chance de rencontrer des enseignants impliqués dans leur mission, leur chance de réussite scolaire est plus grande. Ceci a aussi été permis par la démocratisation de l’enseignement : davantage d’élèves ont aujourd’hui accès aux études supérieures.

Du fait de la diversité des agents de socialisation, les individus ne fondent jamais l’ensemble de leurs manières de faire et de penser sur une référence unique : leurs trajectoires individuelles peuvent être alors très différentes de celles de leurs parents.


CONCLUSION : Les processus de socialisation durent toute la vie : ils forment et transforment les individus. Cependant, ils ne sont pas synonymes de conditionnement uniforme. En effet, même lors de la socialisation primaire familiale, l’individu peut être confronté à une multiplicité de modèles (du fait de configurations familiales), puis il est socialisé par l’école qui peut véhiculer des éléments culturels différents de la famille, il est aussi en contact avec des pairs, les médias, tout au long de sa vie qui vont lui apporter une multiplicité de références…ainsi la force des processus de socialisation, par leur continuité, leur multiplicité va créer un individu singulier. On comprend alors la possibilité de trajectoires improbables : certains individus sortent des grandes régularités statistiques. La socialisation familiale détermine donc une grande part de nos comportements, mais elle n’empêche pas la pluralité des influences et la famille est aussi en « concurrence » avec d’autres instances de socialisation.