Chapitre 2 : Quelle est l’action de l’École sur les destins individuels et sur l’évolution de la société ?

14 octobre 2021
in Sociologie et science politique
Terminale

 

  1. Le rôle de l’Ecole dans les sociétés démocratiques
  2. L’Ecole transmet des savoirs

-l’objectif de l’Ecole est de transmettre des connaissances indispensables : apprendre à lire, écrire, compter,…mais aussi des savoir-faire (compétences) => intégration  sociale à la collectivité

-de transmettre des connaissances communes : la langue, l’Histoire, la Science,… pour que les français partagent les mêmes normes et les mêmes valeurs 

=>intégration culturelle à la Nation (=renforcer la cohésion sociale)

-de former un citoyen éclairé : c’est-à-dire qui dispose de connaissances suffisantes pour exercer son esprit critique =>intégration démocratique

-de donner aux individus une qualification nécessaire à l’exercice d’une activité professionnelle (les diplômes) =>intégration professionnelle

  1. L’Ecole vise à favoriser l’égalité des chances

L’Ecole garantit en principe l’égalité des chances. 

Egalité des chances : situation où l’accès aux positions sociales valorisées (niveau de diplôme, statut social…) est indépendant de l’origine sociale, ou d’autres caractéristiques (sexe, âge, lieu de résidence, origine migratoire…)

Ainsi,  l’origine sociale n’aurait pas d’influence sur le destin social, donc la position sociale finalement atteinte par un individu. l’Ecole devrait permettre de passer librement d’un statut social hérité (celui de sa famille d’origine) à un statut social acquis (celui atteint en accédant à une profession) : l’Ecole peut donc être un moteur d’ascension sociale.

Le 20ème siècle a ouvert l’Ecole aux enfants de toutes origines sociales et a donc donné le droit aux enfants des classes populaires de poursuivre des études supérieures. Les valeurs républicaines ont donc posé le principe d’une école ouverte à tous quelle que soit l’origine sociale des enfants selon un principe démocratique basé sur la méritocratie

Méritocratie: principe selon lequel chacun est récompensé selon son mérite (son travail, ses compétences, ses efforts, sa réussite,…)

Démocratie: société dans laquelle il y a un processus d’égalisation des droits, des chances et des positions sociales

Quelques mesures emblématiques pour favoriser l’égalité des chances ;

-augmentation de l’âge de la scolarité obligatoire à 16 ans en 1959

-création du collège unique en 1975 (loi Haby)

-création du baccalauréat technologique en 1965 et professionnel en 1985

On peut voir une augmentation globale du taux de scolarisation entre 1985 et 2005. C’est surtout vrai pour les +18 ans. (=allongement de la durée des études)

Taux de scolarisation : rapport entre le nombre d’élèves d’un âge déterminé, inscrits dans un établissement d’enseignement et le nombre total de jeunes de cet âge

  1. L’Ecole s’est-elle démocratisée depuis les années 1950 ?
  2. Depuis les années 1950, l’Ecole française connait un processus de massification…

La massification scolaire est le processus par lequel:

-de plus en plus d’élèves ont accès aux études secondaires, puis aux études supérieures (=hausse du taux de scolarisation et du taux d’accès à un diplôme)

-il y a un allongement généralisé de la durée des études

Taux d’accès à un diplôme ou à une formation : proportion d’élèves d’une génération qui obtiennent un diplôme ou accèdent une formation

Il y a donc bien une massification scolaire puisque, le taux de scolarisation, le taux d’accès au baccalauréat et aux études supérieures augmentent et la durée des études s’allongent.

 

  1. La massification n’entraîne pas une réelle démocratisation de l’Ecole

La démocratisation scolaire est un processus par lequel l’accès à une filière ou un niveau de diplôme ne dépend plus de l’origine sociale d’un individu.

Il s’agit alors de démocratisation qualitative (pour la distinguer de la démocratisation quantitative que serait la massification). 

On peut voir que les enfants de cadres et de professions intermédiaires réussissent plus souvent le baccalauréat que les enfants d’ouvriers et d’employés et qu’ils passent plus souvent un baccalauréat général que professionnel. Or, le taux de réussite du baccalauréat professionnel est plus faible, donc les enfants d’ouvriers ont moins de chances de réussite scolaire (ce qui est contraire à l’objectif d’égalité des chances).

Le type de baccalauréat choisi dépend de l’origine sociale : les enfants d’ouvriers s’orientent plus souvent en filière professionnelle, les enfants de cadres s’orientent plus souvent en filière générale. Or, le type de baccalauréat va déterminer les études supérieures : les élèves ayant obtenu un baccalauréat professionnel ne s’orienteront quasiment jamais vers des études longues.

Les enfants des catégories favorisées font plus d’études que les autres :

Par exemple, la part des enfants de cadres parmi les étudiants (de nationalité française) est 3 fois plus grande que celle des enfants d’ouvriers.

Les enfants de cadres font des études plus longues et plus prestigieuses:

Par exemple la part des enfants de cadres en classes préparatoires aux grandes écoles est plus grande que la part des enfants d’ouvriers.

De plus, le choix des filières dès le lycée puis dans l’enseignement supérieur est genré. Même si la part des filles obtenant un diplôme supérieur ou égal au niveau licence est supérieure à celle des garçons, les filles sont sous-représentées dans les écoles d’ingénieur par exemple et surreprésentées dans les filières sociales ou paramédicales. Il s’agit là d’une inégalité et pas d’une simple différence, car les salaires sont bien plus élevés (et donc la valorisation des métiers par la société) dans les emplois d’ingénieurs, que dans les emplois d’aide-soignante par exemple.

Conclusion 

L’égalité des chances n’est de fait pas observée puisque le milieu social de naissance ou le genre réduisent les chances d’accès aux diplômes les plus valorisés par la société. 

Si les enfants des classes populaires et les filles ont désormais un accès libre à l’école, le système scolaire a créé des filières dans le secondaire et le supérieur qui sont sélectives. 

=>Il y a donc bien égalisation des chances par la massification scolaire (hausse du taux de scolarité, du taux d’accès aux diplômes, de la durée de scolarité) mais l’égalité des chances n’est pas atteinte

Si on peut parler de démocratisation quantitative de l’Ecole, au sens où tous les enfants quelle que soit leur origine sociale y ont accès, on ne peut pas parler de démocratisation qualitative, car si l’égalité des chances est un objectif que cherche à atteindre l’Ecole républicaine, il est loin d’être garanti dans les faits puisque l’origine sociale ou le genre continue d’influencer le destin scolaire. 

  1. La multiplicité des facteurs d’inégalités de réussite scolaire
  2. Le rôle de l’Ecole et du capital culturel

Capital culturel : Ensemble des ressources culturelles valorisables d’un individu. 

Il se présente, selon Pierre Bourdieu (sociologue français, 1930-2002) sous trois formes : à l’état incorporé (langage, rapport à la lecture, capacité d’abstraction,…), à l’état objectivé (ensemble de biens culturels possédés : livres, ordinateur...) et à l’état institutionnalisé (titres scolaires : diplôme)

Tous les enfants ont un capital culturel qui leur est transmis lors de la socialisation par leur famille et les autres agents de socialisation eux-mêmes déterminés par le milieu social (pairs, médias,…)

Socialisation= processus d’intériorisation des normes et des valeurs

Mais le capital culturel qui est valorisé à l’Ecole est celui des milieux favorisés. 

Pour Bourdieu, le contenu  (littérature, théâtre,…)et la forme (règles, dissertation,…)de la culture véhiculée par le système scolaire correspond aux valeurs, aux traditions et à la culture de la classe dominante. 

Ainsi, l’Ecole, en considérant tous les élèves égaux face à cette culture (ce qu’ils ne sont pas) perpétue les inégalités initiales devant cette culture.

Les élèves étant inégaux en capital, l’école reproduit les inégalités : plus les parents ont un capital culturel légitimé par l’Ecole, plus les enfants ont de chances de réussir à l’école.

Conclusion: 

L’Ecole est donc en partie responsable de la reproduction des inégalités car en ne valorisant que le capital culturel des milieux favorisés, elle ne repose pas ainsi seulement sur le seul mérite des élèves.

  1. Le rôle des investissements familiaux

Investissements familiaux : Actions plus ou moins intentionnelles des membres de la famille qui visent à favoriser la réussite scolaire des enfants (aide aux devoirs, importance et intérêt donnés par les parents au travail scolaire,…)

Même si les investissements familiaux dans la scolarité des enfants sont plus importants dans les milieux favorisés, quelle que soit l’origine sociale des parents, le fait que les parents valorisent l’école et aient des comportements qui incitent à la réussite scolaire de leurs enfants va accroître les chances de chaque enfant de réussir à l’école.

Il peut s’agir d’actions visant à mieux s’approprier les normes et valeurs de l’Ecole (inciter à la lecture alors qu’on ne lit pas soi-même), ou de comportements plus diffus tels que la valorisation de l’autonomie de l’enfant.

Les configurations familiales (par ex avoir une grande sœur qui fait des études) ou l’existence d’un agent socialisateur spécifique (par ex la marraine) peut aussi avoir un impact sur les trajectoires scolaires.

Les investissements familiaux expliquent pourquoi les enfants des milieux sociaux moins favorisés ou appartenant aux « classes moyennes » peuvent réussir à l’Ecole : certains enfants peuvent connaître des « trajectoires improbables », c’est-à-dire des destins sociaux qui ne sont pas ceux que laissaient prédire leur origine sociale.

  1. Les effets des stratégies des ménages

On va s’intéresser aux choix des familles, donc à leur stratégie. La perspective consiste à partir des décisions familiales, c’est pour cela que l’on parle de stratégie. Les stratégies des ménages vont expliquer des choix d’orientation différents et donc des destins scolaires inégaux selon l’origine sociale.

a) Les stratégies d’évitement de la carte scolaire

La carte scolaire désigne un système d'affectation des élèves dans une école, un collège ou un lycée publics situé dans un secteur géographique où ces élèves sont domiciliés dans le but de garantir la mixité sociale.

Les parents cherchent à contourner la carte scolaire afin que leurs enfants ne soient pas scolarisés dans un collège où la majorité des enfants sont issus de milieux défavorisés, ce qui selon eux poseraient des problèmes de « fréquentation » et de « discipline ». Ils cherchent à éviter l’effet établissement et éviter les classes populaires, il s’agit souvent de classes moyennes.

Pour éviter la carte scolaire, les parents peuvent s’installer dans un quartier proche d’un « bon » collège ou obtenir une adresse proche ou faire le choix d’option spécifique (« parcours scolaire particulier ») ou scolariser leurs enfants dans une école privée.

Cette stratégie est génératrice d’inégalités scolaires car elle favorise l’entre soi et seuls peuvent la mettre en place les parents qui connaissent le système.

Comme les familles contournent la carte  scolaire, il y a création de véritables ghettos scolaires, dans les quartiers populaires. L’effet indirect de ces stratégies individuelles est de renforcer les inégalités.

b) L’influence de l’origine sociale sur les stratégies d’orientation au collège et au lycée

Même lorsqu’ils ont une moyenne comprise entre 8 et 10, la part des enfants de cadres qui veulent s’orienter en seconde générale est plus grande que celle des enfants d’ouvriers.

On peut faire la même analyse au lycée et pour les études supérieures: les enfants issus de milieux défavorisés font faire plus souvent le choix d’études courtes.

c) Les choix d’orientation : un calcul coût-avantage

Selon le sociologue R.Boudon, les familles seraient à l’origine de choix d’orientation différenciés pour leurs enfants, compte-tenu d’un calcul coût-avantage.

Chaque famille chercherait à définir le statut légitime que son enfant peut chercher à obtenir : par exemple, un instituteur sera content que son fils devienne professeur ce qui ne sera pas le cas d’un professeur d’université. 

A chaque étape de l’orientation scolaire les familles font un choix à partir des bénéfices et des coûts anticipés : par exemple, implicitement une famille d’ouvrier estime que leurs enfants ont peu de chances de réussir des études longues, et compte tenu du coût de celles-ci, il lui semble alors plus rationnel de laisser le jeune s’orienter vers des études courtes.

Ces stratégies familiales différentes selon le milieu social expliquerait donc pourquoi les enfants d’ouvriers font plus souvent le choix de s’orienter vers des filières professionnelles et de faire des études courtes et seraient elles aussi à l’origine des inégalités.

  1. Le rôle de la socialisation selon le genre

La socialisation différenciée selon le genre a des effets paradoxaux :

D’un côté, grâce à l’intériorisation de normes correspondant mieux à celles de l’Ecole, les filles réussissent mieux scolairement que les garçons : leur taux d’obtention au baccalauréat est plus élevé, elles font en moyenne des études plus longues.

Pourtant, elles sont moins présentes dans les filières scientifiques et plus représentées dans les filières à dominantes littéraires ou sanitaires et sociales de par leur socialisation différenciée.

De plus, elles choisissent moins souvent des filières prestigieuses (on parle d’auto-censure) et font des choix de carrière incluant davantage la possibilité de concilier vie familiale et professionnelle).

Ainsi, les filles peuvent faire des choix qui vont les mener vers des emplois moins rémunérés que les hommes, malgré une meilleure réussite scolaire.